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Dé-paysage
Quand le pinceau est remplacé par l’ordinateur et la peinture par la photographie, l’artiste devient-il photographe pour autant ? Depuis toujours, Gérard Pétremand travaille plus en tant que plasticien qui s’intéresse à l’expression des idées, des formes et des couleurs qu’en tant que chasseur d’images. Dans ses récentes prises de vues, il rend compte de paysages champêtres, structurés ensuite par le pixel et dominés par une ambiance post-romantique qui rappelle les peintures d’un autre temps. Ce sont les tableaux de Corot ou de Courbet ou même de Hodler (Le Bois des frères, 1885) qui viennent à l’esprit. On croirait d’ailleurs en reconnaître l’un d’eux personnellement en regardant ces deux peintres barbus postés devant leur chevalet à Verbois.
Couleurs saturées, cadrages étudiés, ces photographies donnent à voir l’énergie naturelle exploitée par l’humain – l’eau tourbillonne, les canalisations structurent le paysage. Comme en témoigne cet «habillage» en mosaïque, les prises de vue ont été modifiées sur l’écran de l’ordinateur. Un résultat qui déroute et interpelle le regard. En effet, tous les travaux de Pétremand ont pour caractéristique majeure d’offrir un décalage par rapport à la réalité et partant, d’interroger notre manière de voir les choses. Conscient de l’impossible défi d’une objectivité obtenue par la photographie, il insiste sur un rendu subjectif et développe un style grinçant qui trompe toute lecture qui s’arrêterait au premier degré. Une manière de dire combien l’imaginaire et la sensibilité l’emportent sur la traduction mécanique de la réalité: «L’imagination est la reine du vrai, et le possible est une des provinces du vrai», écrivait Baudelaire en 1859.
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Si, dans ces trente nouvelles images, on retrouve les intérêts que le Genevois cultive depuis toujours: les zones industrielles, l’urbanisme mêlé à la nature, les couleurs vives, le flouté, on retrouve également cette fascinante maîtrise d’un savoir-faire. Celle qui lui permet à chaque fois de réinventer des techniques pour satisfaire ses enjeux conceptuels. Capable d’ériger de simples éléments de construction – telles des dalles préfabriquées – en villes imaginaires par des effets de perspective ou par l’utilisation savante du flouté (Dream City, 2003), il propose aujourd’hui des images contemporaines stylistiquement différentes de ce qu’on lui connaît habituellement. Contemporaines, ses vues le sont non seulement par le sujet qui donne à voir des systèmes d'énergie – viaduc, château d’eau, barrage, pylône électrique –, mais aussi par l’utilisation exagérée de l’élément pictural appelé pixel dans le jargon. Assumant pleinement l’ère de la numérisation, Pétremand fait de cette trame géométrique un élément cardinal de ses images.
Ces dernières montrent ainsi une station d'épuration ou des pipelines un peu comme les impressionnistes auraient peint au XIXe siècle leur propre modernité en représentant des usines ou des gares. À la touche fragmentée d’un Sisley, d’un Monet ou d’un Pissarro qui décrirait les cheminées d’une fabrique ou d’une locomotive correspond le pixel carré de Pétremand pour décrire les réseaux citadins du XXIe siècle. Afin d’évoquer cet «immensément grand» qui nous entoure, il a recours paradoxalement à l’infiniment petit – le pixel – et de cette confrontation naît une réelle tension dans ses photographies (peintures ?) qui documentent une Genève méconnaissable: ni totalement champêtre, ni complètement citadine, mais envahie, même dans sa campagne, par les éléments les plus industriels. Dans «Dé-paysage», la cité de Calvin n’est finalement qu’un prétexte à un imaginaire qui «crée un monde nouveau» et «produit la sensation du neuf» pour reprendre les termes de Baudelaire.
Karine Tissot
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